REPORTAGE. "On va devoir aller au bout du monde pour acheter un parquet de chips" : à Clermont-Ferrand, la fermeture d'Auchan démunit tout un quartier et ses habitants

Un plan de restructuration aux conséquences bien concrètes. En novembre dernier, Auchan annonçait la suppression de 2 400 emplois dans plusieurs entrepôts, au siège mais aussi dans des magasins. Deux hypermarchés à Bar-le-Duc, dans la Meuse et à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme baissent définitivement le rideau, samedi 17 mai. Un supermarché à Aurillac, dans le Cantal, va lui aussi fermer le 31 mai prochain. Quant à l'hypermarché de Woippy, en Moselle, il doit, lui, être repris par Leclerc.
Au nord de Clermont-Ferrand, les 200 employés de l'hypermarché Auchan, déficitaire, vont être licenciés. Le magasin a ouvert en 1972 dans un quartier populaire de la ville et, ces derniers jours, chacun dit au revoir à son magasin à sa manière.
Sur place, cela sent la fin, il y a des rayons vides à perte de vue et une poignée de clients est venue profiter des offres de liquidations. "On dirait qu'il y a eu une apocalypse, il n'y a plus rien", regrette Lydia. Mais elle a tout de même trouvé des orchidées violettes, qu'elle va "garder en souvenir". Elle salue la caissière, lui souhaite "bon courage parce qu'après je ne reviens plus et avec tristesse, croyez-moi." "C'était mon magasin préféré, dit Lydia, parce que j'habite à côté et, pour ainsi dire, il a presque vieilli avec moi. Quand je viens ici, je reste au moins deux heures. Même mon mari, parfois, il me posait la question, si je n'étais pas partie à Paris et revenue ! On rencontrait les voisines, on discutait, c'était ma promenade."
"Ça, ça va me manquer, c'est un gros chagrin."
Lydia, cliente historique du Auchan de Clermont-Ferrandà franceinfo
Autre signe de l'attachement, un couple demande une photo souvenir sous l'enseigne Auchan rouge, au milieu des rayons vides. "On habite ici depuis 30 ans", explique-t-il. Les clients traînent, ils vont dire au revoir à Céline, l'hôtesse d'accueil qui fait partie des 194 salariés licenciés. "C'est dur, admet-elle, c'est quitter une famille, j'ai presque envie de dire, parce qu'on passe plus de temps avec les collègues, qu'on passe avec notre propre famille parfois. Et ce que je me dis à 50 ans, c'est que ce n'est pas toujours évident de trouver du travail derrière. Mais bon, voilà, il faut être actif tout de suite derrière."
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Et les habitants ont tous la même question en tête : où aller faire ses courses désormais ? Il y a bien Lidl, Leclerc, mais ils sont difficiles d'accès. "On va devoir aller au bout du monde pour acheter un parquet de chips", râle une cliente. La fermeture d'Auchan, c'est même une "catastrophe" pour Rachel, elle y achetait tout, nourriture et vêtements. Alors elle va reprendre le volant, malgré ses 98 ans, "s'il y a beaucoup de choses à porter aussi, il faut bien avoir la voiture", dit-elle.
À moins qu'elle ait un voisin routier comme Laurent : "Dans mon immeuble, j'ai mis une affiche, je me mets à disponibilité des personnes âgées pour, une fois par semaine, les emmener faire des courses. Elles n'ont plus rien, avec leur déambulateur, où voulez-vous qu'elles aillent ?" L'un des clients résume : Auchan, c'était le poumon des quartiers nord de Clermont.
La disparition de l'hypermarché emblématique bouleverse tout un quartier, à commencer par la galerie commerçante installée autour. Le départ d'Auchan accélère les fermetures des boutiques. Celles qui restent, des opticiens, des coiffeurs, un kebab, vont travailler dans une galerie quasi vide. "Il y a 3 000 à 7 000 personnes par jour qui passe pour Auchan, donc ça va forcément réduire énormément le passage, explique Alexis, responsable d'un magasin d'optique. Ce sera qu'avec les clients qu'on a déjà. En plus, il y en a plein qui pensent que toute la galerie va fermer. Il va falloir voir, jauger en fonction de ce qui va arriver dans les prochains mois."
Et au-delà, c'est tout le quartier prioritaire de Croix-de-Neyrat, 8 000 habitants, qui va être touché. Il s'est construit dans les années 70 autour du Auchan, qui s'appelait Mamouth à l'époque, et il s'est encore développé avec l'arrivée du tramway. "C'est bien beau le tram, mais s'il n'amène à rien", avance Marie-Pierre Fréjaville, présidente du comité de quartier. Elle craint que le prix de l'immobilier chute : "Les appartements, ils ne valent plus rien. Sans Auchan, ils ne valent plus rien. Des adhérents qui vendent leur appartement, ils étaient très chers avant, mais maintenant, ils n'arrivent plus à le vendre."
L'autre inquiétude concerne l'augmentation de la délinquance. Car pour certains clients, c'est aussi à cause des jeunes qui traînent devant, que le Auchan a fermé. Et tout le monde craint que "ça devienne la zone", avec des points de trafic de drogues qui s'installent dans les locaux vides.
Plusieurs comités sont mobilisés, dont "Ne perdons pas le nord" qui distribue des tracts aux clients. "Si on est nombreux à venir, ça aura plus de poids, forcément", dit une habitante qui parvient à convaincre une cliente de manifester devant le centre commercial samedi. "Pour maintenir la pression sur la mairie, pour qu'ils ne nous laissent pas sans rien. On n'aura plus de Auchan, c'est sûr, mais au moins qu'on ait un commerce de proximité."
Mais la priorité pour le maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, c'est d'abord de négocier avec Auchan pour indemniser, notamment, les commerçants de la galerie. "Mon enjeu à moi aujourd'hui, c'est de pas trop lâcher sur 'la ville peut faire tout' ou 'la ville peut prendre à sa charge', explique-t-il. Même si, de fait, il y aura un rôle à jouer. Mais c'est, pour l'instant, d'essayer de mettre au pied du mur le groupe Auchan parce que je ne fais pas de cadeau au capitalisme financier." Le maire dit étudier la mise en place d'un marché chaque semaine. Il espère implanter une surface alimentaire de taille moyenne courant 2026.
Francetvinfo